jeudi 20 avril 2017

MIRBEAU ENCORE, MIRBEAU TOUJOURS

 

 "À quel sentiment baroque, à quelle mystérieuse suggestion peut bien obéir ce bipède pensant, doué d'une volonté, à ce qu'on prétend, et qui s'en va, fier de son droit, assuré qu'il accomplit un devoir, déposer dans une boîte électorale quelconque un quelconque bulletin, peu importe le nom qu'il ait écrit dessus ?... Qu'est-ce qu'il doit bien se dire, en dedans de soi,         qui justifie ou seulement qui explique cet acte extravagant ?
Qu'est-ce qu'il espère ? Car enfin, pour consentir à se donner des maîtres avides qui le grugent et qui l'assomment, il faut qu'il se dise et qu'il espère quelque chose d'extraordinaire que nous ne soupçonnons pas. Il faut que, par de puissantes déviations cérébrales, les idées de député correspondent en lui à des idées de science, de justice, de dévouement, de travail et de probité. […] Et c'est cela qui est véritablement effrayant. Rien ne lui sert de leçon, ni les comédies les plus burlesques, ni les plus sinistres tragédies…"
- La Grève des électeurs (1888), Octave MIRBEAU

PHIL

mercredi 15 mars 2017

LE LIVRE DES NAVIRES ET BOURRASQUES - Daniel MOYANO

 

Ce roman de Daniel Moyano marque une double rupture avec ses oeuvres précédentes : rupture thématique car il abandonne le sujet de l'exil intérieur pour celui de l'exil extérieur, rupture formelle car il traduit une ambition esthétique nouvelle, servie par une écriture en état de grâce. Des procédés tels que le collage, le pastiche littéraire, le recours aux chansons, tout cela contribue à rattacher le roman à des pratiques consacrées par le Boom littéraire latino-américain. L'expérience biographique suscite un récit cathartique dans le but d'apprivoiser un traumatisme réel.
L'histoire relatée par Rolando retrace la traversée de 700 Argentins, Chiliens et Uruguayens poussés vers l'exil européen par leurs dictatures respectives. le paquebot au prestigieux nom de Cristoforo Colombo est déjà tout un programme et sera rebaptisé Zampano en vertu de son caractère magique et attachant : le bateau devient un espace transitoire entre la terre des origines et une mystérieuse terre à venir dont on ignore si elle est promise. Pied de nez au mythe de Babel, le navire recueille une population aux langues multiples, s'efforçant de cohabiter dans une sorte d'utopie précaire. S'il réserve à la grave question des opposants disparus le récit métaphorique du gardien de phare, ce roman évoque le fait politique avec précision. Ce ne sont pas les discours révolutionnaires destinés à changer le monde qui retiennent l'attention du narrateur, mais les tentatives des personnages pour essayer de comprendre leur expérience passée en l'inscrivant dans l'Histoire u dans de vastes généalogies, tels des Espagnols égarés en Amérique.
Renouant avec la tradition du récit maritime, le livre des navires et des bourrasques trace un parcours initiatique qui demeure inachevé car il doit suspendre son sens dans l'attente d'explorer l'Europe, rendue incognita par les renversements de sens et de traditions auxquels procède le narrateur.  

https://www.babelio.com/livres/Moyano-Le-livre-des-navires-et-bourrasques/367420/critiques/1281690

SOPH

jeudi 9 mars 2017

OBRA POETICA COMPLETA - Juan LISCANO

 

Pessismiste quant à la condition humaine, déplorant le manque de spiritualité des hommes contemporains et leur déséquilibre social, leur déracinement et leur asservissement, la poésie de Juan Liscano reste délicate, entre ombre et lumière, attachée au folklore que l'auteur a découvert dans les hautes terres du Venezuela, son oeuvre est un hymne à l'élan vital de l'être humain dans la nature.  

DURACION
La memoria sorprende en la blancura
de corredores enfilados
y es un salto la sombra;
precisa, ahondando los lugares,
en esta mansión tan diurna,
tan joven y ya ausente.

No hay ruido
y el pasar de la doncella única,
dura, todo se agita, las palmas,
el agua de la pila, los destellos en el piso,
la luz en las vidrieras,
las cortinas de paño leve.
Ella sigue pasando inmóvil,
no asienta los pies, se desvanece,
avanza, mientras el silencio de los relojes
confunde o apaga las horas.

—Fue ayer.
—No fue nunca.
—Sigue siendo.

 https://www.babelio.com/livres/Liscano-Obra-poetica-completa-1939-1999/933816/critiques/1276655

SOPH

EL HIJO DE LA CASA - DANTE LIANO

 


Le dénominateur commun de toute la production littéraire de Dante Liano est son intérêt pour l'histoire de son pays qu'il recrée, à la manière du roman noir, avec les armes de l'ironie et de l'humour. 

Il intègre également avec talent l'autodérision en introduisant l'univers et le parler urbain. 

PHIL

mercredi 8 mars 2017

LA LIMACE - Gabriel CASACCIA

 Dans ce roman, Gabriel Casaccia s'inspire du village Aregua, au bord du lac Ypacarai, dans lequel il a passé de fréquents séjours durant son enfance et son adolescence.
L'histoire se déroule dans un Aregua infernal, peuplé de personnages mesquins qui laissent libre cours à l'expression de leurs plus bas instincts, la limace étant le surnom que le curé bourru donne à Angela Gutierrez, vieille fille qui entretient avec sa soeur une féroce relation de haine. Mais la véritable cible de Gabriel Casaccia, comme dans son oeuvre Los exiliados, est le parvenu, le coygua, dont l'ascencion sociale ne peut faire oublier les origines paysannes. Ainsi, Ramon Fleitas, l'anti-héros masculin du roman, écrivain raté et aigri, est un individu vil et grossier que sa femme regrette d'avoir épousé.


Premier grand roman paraguayen contemporain, que certains jugeront antipatriotique, La limace combine une analyse psychologique impitoyable des personnages à une prose chirurgicale, et sert une satire dans laquelle le premier rôle est concédé aux anti-héros. Gabriel Casaccia situe volontairement la fin de son histoire en 1951, soit l'année même où il termine ce roman. La fusion entre le réel et la fiction sert l'autocritique explicite de la réalité paraguayenne, qui, à son tour, ouvre de nouvelles perspectives pour une prose jusque là dominée pat l'image idéalisée du pays présentée par des écrivains nationalistes.  

https://www.babelio.com/livres/Casaccia-La-limace/902346/critiques/1275158

SOPH

mardi 7 mars 2017

PEWMA DUNGU - Leonel LIENLAF

 


Dans une écriture poétique bilingue d'une grande beauté (mapudungun-espagnol), Leonel Lienlaf chante son espace naturel, les contrées australes, les forces cosmiques, les origines, les hommes et les créatures de la terre. 

SOPH

jeudi 23 février 2017

POESIE ET REALITE - Roberto JUARROZ

 

Poesia y realidad est un recueil d'essais sur l'art poétique qui éclaire la lecture de la poésie de Roberto Juarroz et sa conception esthétique fortement influencée par Antonio Porchia, Nietzsche, Novalis et Héraclite : un art de l'impossible pour dépasser tous les simulacres. Ainsi, la poésie aphoristique de Juarroz vise l'absolu en écartant toute dérive rhétorique mais sans renoncer au jeu verbal, le seul à pouvoir rendre compte, dans la simplicité, d'une expression dénudée de la complexité du réel. Il y a chez ce poète une tension gnoséologique permanente qui le pousse à rechercher sans cesse le paradoxe. 

https://www.babelio.com/livres/Juarroz-Poesie-et-realite/434258/critiques/1265404

PHIL

LA NOVELA DE LA POESIA - Tamara Kamenszain

 

La poésie de Tamara Kamenszain se rattache clairement aux courants néo-baroques latino-américains. On retrouve dans ce recueil une volonté de décomposer ou de déconstruire la syntaxe pour mieux révéler le sens, à la manière bigarrée et hachée de César Vallejo ou de Gertrude Stein, afin d'appréhender le quotidien. On décèle également une volonté de ne pas se couper d'une tradition qui la rattache à l'univers domestique féminin et à celle du judaïsme. 

Cuando escribí el primer poema me sobraban motivos
Girri nos enseñó después que el motivo es el poema
y ahora me pescan como en acto fallido
dos o tres palabras lisas y llanas
"te veo" "me ves" no quieren decir nada
pero si reconocés mi letra me averguenzo ante el espejo
¿de qué si no estoy hablando de mí?
¿de qué si cuando escribo no te hablo?
despunto por vos la adicción que me tiene atada
a ese dialecto que aprendí de chica
se pronuncia arrastrando la monogamia de los míos

de qué me averguenzo entonces
si lo que me pesa desde la cuna todavía
para bien o para mal no es otra cosa
que la alianza con mi padre.

 https://www.babelio.com/livres/Kamenszain-La-novela-de-la-poesia/929228/critiques/1265430

PHIL

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Je rajoute :

 Tal vez sea esta:
con un gesto doméstico de camisetas impresas -YO ESTUVE AHÍ-
132 estudiantes mexicanos en YouTube
desafían a un candidato a presidente que los ninguneó
lanzando esa fuerza de choque inesperada
que hace decir a Margo Glantz desde su Twitter:
"Yo soy 133".
En primera persona también me sumo
quiero salvar con ellos algo de mi propia juventud
algo que el pasado escanee para mí
un entusiasmo de grupo un nosotros naíf o salvaje
que me permita creer que alguna vez me colé
por los agujeros de las voces ajenas
para encontrarme feliz y contenta
con el eco de la mía. 

https://www.babelio.com/auteur/Tamara-Kamenszain/425966/citations/1152039

SOPH.

 

 

mercredi 22 février 2017

COMME LE THE PREND LA VAPEUR - Sophie CHALANDRE (in collectif RECITS DE VOYAGES)

  

Véritable invitation au voyage, dans un écrin iranien où les personnages sans concession, sertis dans une réalité qui hésite comme eux entre la poésie de l'existence et l'attente de lendemains qui chantent enfin, cette nouvelle intense et superbement écrite convie à partager tout à la fois les mots du poète Hafez, le thé du vieil Hamad, le vin de Shiraz, les traces de la minorité juive et les cerfs-volants de l'espoir d'un peuple tout entier, résolument perse. 

 Aujourd’hui, l’humain est si sédentaire que, même en partance, il est assis, ceinturé de sécurité, pour voyager vers une même terrasse, des chaises identiques, quatre murs, juste un soleil plus chaud et un ciel plus bleu : l’illusion du palmier. Ces mêmes sédentaires insistent : voyager en rêve est possible. C'est pour mieux excuser leur peur de l’inconstant.
- Récits de voyage - 19 aventures inédites, hors des sentiers battus.

- Sophie CHALANDRE, lauréate 2017 du concours de nouvelles Arcade de Taninges (RECITS DE VOYAGES) avec la nouvelle : COMME LE THE PREND LA VAPEUR

 PHIL

https://www.babelio.com/livres/Chalandre-Comme-le-the-prend-la-vapeur/928795/41portee=membres&desc_smenu=l

https://www.babelio.com/livres/Chalandre-Comme-le-the-prend-la-vapeur/928795/critiques/1263995

jeudi 16 février 2017

FALSAS CRIATURAS - Julio INVERSO

 

Très marqué par la culture rock et la poésie romantique anglaise et germanique, Julio Inverso est le représentant de la poésie gothique ou grunge uruguayenne, le noir, la mort et les vampires faisant partie de ses thèmes récurrents. Par delà la provocation et les excès, sa poésie fugace et précaire dénote une hypersensibilité à l'image de sa disparition prématurée. 

 ...cadáveres en los parques
cadáveres de matronas y de niños
cuando nos cruzamos me pediste un cigarrillo
con un gesto
te di uno y lo encendí
caminamos junto por el centro
no medió una palabra
miré tu mentón arrogante
se desplomó un pedazo de un edificio
la devastación proseguía. 

 

 https://www.babelio.com/livres/Inverso-Falsas-criaturas/927578/critiques/1260334

PHIL

jeudi 2 février 2017

2666 - Roberto Bolaño

 

 


Roman monstre, issu d'autres romans et engendrant d'autres romans ; roman de roman, à la fois ouvert et fermé, sorte de haïku tentaculaire et labyrinthique de plus de mille pages où tout est permis et envisageable, entre digressions et mises en abyme, 2666 est une épopée inquiétante, hantée par un trou noir intellectuel qui interroge les liens entre création, littérature, Histoire et réalité, inspiré en partie du livre Les os dans le désert de Sergio González Rodríguez.
Tenter de saisir le réel pour le perdre, lutter pour accéder au livre absolu, littérature presque quantique et multiverselle, ce livre est une énigme sans solution, à la recherche de la théorie unificatrice de tous les univers écrits : dans un monde qui s'épuise de travailler à sa survie, on frôle la révélation, mais athée, la cause perdue d'avance, celle qui nomme tout et n'y croit pourtant pas. Car Roberto Bolaño ne croit pas en l'art, y compris littéraire, pas plus qu'en ses critiques ou dans les prétentions de ses auteurs, et l'ironie à ce sujet dans 2666 est aussi jubilatoire que dévastatrice, sorte d'ultime effort de l'auteur pour sublimer le silence.
Quatre professeurs de littérature ont en commun la fascination pour l'oeuvre de Benno von Archimboldi, un énigmatique écrivain allemand de renommée internationale, exilé au Mexique. Sur ses traces, ils se rendent en pèlerinage à Santa Teresa, incarnation fictionnelle de Ciudad Juarez, la ville des femmes assassinées en série… 2666 est une enquête philosophique qui avance sur les cadavres de notre civilisation, sa perte et sa déliquescence, en un immense travelling le long des ruines d'une culture qu'invoquent la trahison d'une bavarde littérature contemporaine et son terrible et vain simulacre de salut. - (ED. CHRISTIAN BOURGOIS, on le trouve aussi chez FOLIO)

PHIL

mercredi 18 janvier 2017

Fictions - Jorge Luis Borges

 

Ce recueil de nouvelles paru en 1944 est un sommet de la littérature universelle où l'auteur s'installe dans une métaphysique fictionnelle qui prend appui sur le « livre » comme personnage de fiction, organisant, voire générant la réalité. Jorge Luis Borges renverse le postulat admis d'une littérature reflet du réel, pour faire de ce réel la simple traduction, au sens fort du terme, de la littérature : le monde n'est qu'imparfaite traduction du livre comme modalité première et fondatrice, sorte de bibliothèque aux possibilités aussi infinies qu'insoupçonnées. Tout part du livre, tout y revient, dans un mouvement circulaire qui peut prendre la forme du rêve, du souvenir, de l'énigme, du miroir, du labyrinthe, du duel, de la trahison…
 

Le monde-bibliothèque de Jorge Luis Borges est conçu comme un labyrinthe dont les voies bifurquent dans un retour infini sur elles-mêmes, porteuses du seul paradoxe qui donne un sens à tout labyrinthe : en connaître l'issue le prive de sa nature et de son sens en le rendant semblable à n'importe quel autre tracé. Par ailleurs, un labyrinthe sans issue est une prison. C'est de ce paradoxe dont sont nourries ces nouvelles de Borges, avec le duel et la trahison pour scander le destin des hommes : ils ont beau connaître l'issue qui les libèrerait, seul l'égarement finalement les attend.

SOPH

Fictions - Jorge Luis Borges

Ce recueil de nouvelles paru en 1944 est un sommet de la littérature universelle où l'auteur s'installe dans une métaphysique fictionnelle qui prend appui sur le « livre » comme personnage de fiction, organisant, voire générant la réalité. Jorge Luis Borges renverse le postulat admis d'une littérature reflet du réel, pour faire de ce réel la simple traduction, au sens fort du terme, de la littérature : le monde n'est qu'imparfaite traduction du livre comme modalité première et fondatrice, sorte de bibliothèque aux possibilités aussi infinies qu'insoupçonnées. Tout part du livre, tout y revient, dans un mouvement circulaire qui peut prendre la forme du rêve, du souvenir, de l'énigme, du miroir, du labyrinthe, du duel, de la trahison…

Le monde-bibliothèque de Jorge Luis Borges est conçu comme un labyrinthe dont les voies bifurquent dans un retour infini sur elles-mêmes, porteuses du seul paradoxe qui donne un sens à tout labyrinthe : en connaître l'issue le prive de sa nature et de son sens en le rendant semblable à n'importe quel autre tracé. Par ailleurs, un labyrinthe sans issue est une prison. C'est de ce paradoxe dont sont nourries ces nouvelles de Borges, avec le duel et la trahison pour scander le destin des hommes : ils ont beau connaître l'issue qui les libèrerait, seul l'égarement finalement les attend.  [SOPH]

Photo : O escritor Jorge Luis Borges - ALICIA DAMICO

  Céline, ce capitaine Haddock surclassé Je ne déteste pas L. F. Céline, encore moins pour les étiquettes qu'à raison on lui colle, je ...