jeudi 8 décembre 2016

Entre la libertad y el miedo - Germán Arciniegas

Ce livre a une histoire, belle et terrible. Publié en 1952, cette brillante et érudite chronique historique des combats pour la démocratie écrasés par les dictatures latino-américaines, a exalté toute une génération. German Arciniegas, immense intellectuel et meilleur historien d'ibéro-Amérique, y parle de ces deux Amériques : celle officielle appuyée sur la répression et ornée de pseudo-dignité politique et l'autre, celle de la multitude privée d'expression, véritable dichotomie entre la liberté et la peur qui règne encore sur ce continent. Interdit, détruit ou brûlé dans la plupart des pays latino-américains, son livre était diffusé et lu clandestinement. On arrachait sa couverture pour lui faire traverser les frontières sous la chemise des journalistes ou dans les soutien-gorge des étudiantes, on le dupliquait ou recopiait chapitre par chapitre… L'intellectuel Jesús de Galíndez qui fit sa thèse sur la dictature de Trujillo, fut séquestré, torturé, obligé de manger ce livre puis livré aux requins. On est mort de l'avoir lu, on est mort nombreux. L'Amérique s'est aussi construite avec des livres.

 Photo : Jesús Abad Colorado López

https://www.babelio.com/livres/Arciniegas-Entre-la-libertad-y-el-miedo/902101/critiques/1206340 

[PHIL]

samedi 3 décembre 2016

Adán Buenosayres - Leopoldo MARECHAL

 

 Quand Buenos Aires déambule dans l'imaginaire de Leopoldo Marechal… 

Publié en 1948, ce roman précurseur, structuré en sept livres, est aussi prodigieux par sa construction que par la créativité de son langage et son humour picaresque : Leopoldo Marechal a l'audace de proposer une littérature radicalement nouvelle.


Adán Buenosayres, le protagoniste central du roman, est un poète dont on suit les pérégrinations dans la turbulente capitale argentine des années 20, traçant un récit en mode narratif, allégorique et poétique.
Ce poète qui concentre l'âme de Buenos Aires nous emmène sur un chemin spirituel, métaphysique, entre ciel et enfer urbain, dans un monde multiple, cosmopolite et éclaté, en quête d'unicité. Les références homériques se mêlent aux allusions bibliques et le destin d'Adán Buenosayres prend des airs mythiques au gré des quartiers mal famés ou plus civilisés d'une ville en devenir et d'un pays à inventer.
 

Oeuvre ouverte emplie d'humour et d'érudition littéraire, dont le style virtuose utilise tous les registres : poésie courtoise, argot, langue familière, lyrisme illuminé, ce roman allie universalité et argentinité, modernité et tradition, paganisme et recherche de salut qui lui impriment une complexité de véritable oeuvre de maître.

 https://www.babelio.com/livres/Marechal-Adn-Buenosayres/20971/critiques/1202533

PHIL 

vendredi 2 décembre 2016

Le meilleur des mondes possibles - Ivar Ekeland

Dans ce livre riche en raisonnement, Ivar Ekeland pose la question du meilleur des mondes possibles et de la destinée (finalité) de la réalité et de ses lois : le rêve de tout théoricien serait d'unifier les observations et les sensations selon quelques principes universels dont le principe de moindre action, dont il retrace l'historique et qui s'est peu à peu imposé comme un élément fondateur de la physique - la dynamique d'une quantité (position, vitesse accélération...) entre deux instants se déduit d'une unique grandeur appelée action dont on suppose qu'elle atteint son minimum (id est : la nature est fainéante).
Si la pensée de Leibniz est une réhabilitation de la finalité, un monde de l'unité finale de la multiplicité ou encore la théorie de l'harmonie universelle (le tout est finalisé, c'est-à-dire tout est finalisé), puisque pour ce savant philosophe la souffrance de ce monde ne pouvait être régie par la volonté divine, la science de Galilée et celle de Newton sont bâties sur l'exclusion de l'idée de finalité de la Nature : le monde n'a pas de fin en soi.
Le physicien et mathématicien Maupertuis, quant à lui, redonne à la finalité ses droits, faisant entrer la physique dans la métaphysique, en démontrant que la nature choisit, parmi tous les mouvements possibles, celui qui minimise une certaine quantité, et qu'à partir de ce principe, on peut retrouver les équations de la dynamique de Newton (principe de moindre action, établi par Fermat en optique en 1662).
Au 19ème siècle, ce principe de moindre action n'est plus abordé comme un principe d'optimalité, il est donc hors du champ métaphysique, mais reste présent, y compris dans les mathématiques contemporaines : aujourd'hui, ce principe est à la base de la mécanique newtonienne, relativiste et quantique ainsi qu'en biologie. Ivar Ekeland étend ce principe de moindre action à l'économie, terminant son raisonnement sur l'application possible de ce principe aux systèmes sociaux et politiques : l'humanité ne dépend pas du hasard et de la nécessité, mais du hasard et de la volonté.
Si la thématique philosophique traitée n'est pas nouvelle, en revanche la réflexion apportée reste stimulante. 

https://www.babelio.com/livres/Ekeland-Le-meilleur-des-mondes-possibles/40329/critiques/1202418 

Illustration : Henri Michaux 1961, encre de chine

[PHIL]

La plus limpide région - Carlos FUENTES

 

Premier roman de Carlos Fuentes, véritable biographie de la ville de Mexico et du présent mexicain, ce livre, sorte de roman-collage, entame un parcours ironique dès son titre : la plus limpide région, emprunté à Alfonso Reyes qui avait repris l'expression aztèque de limpidité de l'air du plateau du Mexique. Or l'air y est pollué, la violence obscure, la corruption bien sombre et le désespoir aussi noir que la perdition.
Au chaos urbain de Mexico, Carlos Fuentes répond par une composition en kaléidoscope où l'espace et le temps sont fragmentés.
Pas de héros mais une histoire collective aboutissant à un être collectif, avec une interrogation majeure sur la trahison de la révolution mexicaine, mêlant les obsessions préhispaniques aux inquiétudes existentielles contemporaines. Volontiers polyphonique, le discours sur cette tour de Babel qu'est Mexico laisse transparaître l'antique Tenochtitlan, révélant un thème majeur dans toute l'oeuvre de Fuentes : les tensions. Tensions entre désir et objet, entre individu et collectivité, tension entre le mythe et l'histoire. 

[SOPH]


Photo :  Dennis Hopper, Mexico (Sculpture of Christ), 1965, © The Hopper Art Trust

https://www.babelio.com/livres/Fuentes-La-plus-limpide-region/99763/critiques/1202498


Dennis Hopper, Mexico (Sculpture of Christ), 1965, © The Hopper Art Trust

lundi 28 novembre 2016

Entres hommes - German Maggiori

Un polar noir et poisseux comme une mauvaise gomina, dopé à la testostérone, qui frise la non-fiction et ne ressemble à aucun autre, Germán Maggiori s'étant affranchi de toute influence.
Quatre parties rythmées en petits chapitres, chacun recelant son propre monde, affichent une société en décomposition, une galerie de personnages détestables, des flics aux méthodes nazies, des truands épouvantables, des prostitué(e)s, des notables pervers et ces villas miserias, les quartiers les plus démunis de la banlieue de Buenos Aires, au lendemain de la crise économique, cloaque abject où les anges sont exclusivement exterminateurs : dans un univers sans rédemption possible, l'auteur sonde les âmes les plus noires dans les bas-fonds argentins, avec un causticisme et une violence inouïs, dans un style époustouflant et une écriture foudroyante. Un régal d'obscur machisme où le lecteur monte sur le ring et prend une mémorable dérouillée.
Germán Maggiori s'inscrit sans conteste dans cette génération d'écrivains argentins qui s'interrogent sur les crises récentes du pays, et confirme le polar dans son rôle dénonciateur d'une corruption généralisée des élites et des institutions, rendant les classes les plus pauvres encore plus exposées aux prédateurs, puisqu'ils recrutent là où il n'y a plus rien à perdre. 

Photo : Alicia Busso

[PHIL]

samedi 26 novembre 2016

Pourquoi le monde est-il mathématique ? - John D. Barrow

 

Le langage commun à tous les scientifiques pour décrire le monde est mathématique. Or ce langage est d'une efficacité étonnante (cf. Eugene Wigner et « La déraisonnable efficacité des mathématiques dans les sciences de la nature »). John D. Barrow expose dans ce livre, qui introduit à la philosophie des mathématiques contemporaines, sa thèse pour expliquer cet accord entre réel et mathématiques. 

Après un rappel historique du nombre et des mathématiques, Barrow propose d'abord d'étudier la nature des mathématiques selon les thèses philosophiques de l'empirisme, du formalisme, du réalisme et de l'intuitionnisme, thèses qu'il va soumettre à critique. Barrow développe ensuite sa propre thèse : les lois physiques sont à l'image des réductions algorithmiques des observations. Si les mathématiques sont le langage de l'abréviation des suites, elles s'appliquent donc par nature au réel. Puisqu'il est algorithmiquement réductible, ce réel, le monde, est mathématique. Le réel n'obéit plus à un schéma géométrique à décrire mais comme un programme informatique qu'il s'agit de décoder.

D'une part, ce que Barrow ne questionne pas est qui produit le langage mathématique : ce langage existe-t-il en dehors de l'homme, préexistant à lui, inscrit dans la nature et nous le lisons pour la comprendre, ou bien est-ce que les mathématiques sont une pure création de l'esprit humain servant à décrire efficacement la nature ? D'autre part, il n'aborde pas la question de l'existence physique qui ne serait pas différente de l'existence mathématique et qui expliquerait son efficacité pour décrire le monde. Or, ce réalisme structurel universel ferait de nous des entités mathématiques.

PHIL 

La Mala Hora - Gabriel Garcia Márquez

Mala hora, c'est la magie des indices semés par Gabriel Garcia Marquez : sans l'énoncer clairement, l'auteur évoque un nouveau gouvernement, reprenant les arguments des partis d'opposition de 1955, sous l'ère équivoque de Rojas Pinilla, époque à laquelle Gabriel Garcia Marquez a dû s'exiler pour raisons politiques.
 

C'est encore la magie climatique, présente dans toute son oeuvre, ici la chaleur est un véritable protagoniste alourdissant l'apathie mentale des villageois. De nouveau la magie avec un quotidien où la temporalité semble élastique et la splendeur exotique démystifiée par une vérité tropicale prosaïque et comme au ralenti. Magie encore avec cette quête des sens cachés que l'auteur glisse dans l'atmosphère de ce roman : signe avant coureur, malaise, non-dit, atmosphère hypocrite, oppression latente. 

L'auteur interroge avec inquiétude les hommes de son pays, leurs intentions véritables, qui sont les collaborateurs, les bourreaux, les rebelles et les bien-pensants.
Magie enfin du titre : Mala hora, qui porte traditionnellement en elle, sur ce continent latino-américain, tous les mauvais présages, l'heure qui annonce, comme dans les tableaux d'Armando Menocal, un malheur imminent, la mort d'une célébrité, la chute d'un régime, la fin d'une rébellion, la reddition d'une armée : l'heure maudite.

SOPH

jeudi 24 novembre 2016

LE VIEUX QUI LISAIT DES ROMANS D'AMOUR - Luis SEPULVEDA

Dédié entre autre à son ami Chico Mendès, ce livre de Luis Sepulveda sème une suite d'anecdotes poétiques dont le ventre est la selva amazonienne, avec un vieux pour protagoniste central, posé sur un équateur géographique, symbole de partition. Car tout dans ce livre est féroce division : intérêt et désintérêt, exploitation et respect d'une harmonie naturelle, fidélité et trahison, vivant amour et mort violente. 

Au-delà de ce déséquilibre binaire, presque manichéen, Luis Sepulveda pose avec son protagoniste lecteur de romans d'amour des questions plus larges, que l‘on retrouve dans le sillage de nombres de ses livres : est-il possible d'être civilisé, libre et de comprendre une nature dont on s'est arraché sans sacrifier son éthique ? Peut-on revenir vers cette nature sans trahir ni ses idéaux civilisés, ni les idéaux naturels de ceux qui vivent avec cette nature ? Est-on condamné à éliminer ou exploiter, ou encore interdire au nom du bien commun ? 

Luis Sepulveda ne tranche pas : la seule piste qu'il propose n'est pas de choisir un camp mais de suivre des yeux les empreintes de la dignité humaine.  

SOPH

Le vieux qui lisait des romans d'amour - Luis Sepúlveda

Dédié entre autre à son ami Chico Mendès, ce livre de Luis Sepulveda sème une suite d'anecdotes poétiques dont le ventre est la selva amazonienne, avec un vieux pour protagoniste central, posé sur un équateur géographique, symbole de partition. Car tout dans ce livre est féroce division : intérêt et désintérêt, exploitation et respect d'une harmonie naturelle, fidélité et trahison, vivant amour et mort violente. Au-delà de ce déséquilibre binaire, presque manichéen, Luis Sepulveda pose avec son protagoniste lecteur de romans d'amour des questions plus larges, que l‘on retrouve dans le sillage de nombres de ses livres : est-il possible d'être civilisé, libre et de comprendre une nature dont on s'est arraché sans sacrifier son éthique ? Peut-on revenir vers cette nature sans trahir ni ses idéaux civilisés, ni les idéaux naturels de ceux qui vivent avec cette nature ? Est-on condamné à éliminer ou exploiter, ou encore interdire au nom du bien commun ? Luis Sepulveda ne tranche pas : la seule piste qu'il propose n'est pas de choisir un camp mais de suivre des yeux les empreintes de la dignité humaine.  [SOPH]

Photo : João Luis Bulcão

  Céline, ce capitaine Haddock surclassé Je ne déteste pas L. F. Céline, encore moins pour les étiquettes qu'à raison on lui colle, je ...