jeudi 30 mai 2019

Belle Ile en Mer

So long Belle-Ile-en-Mer, mouillages tranquilles, dîners sur la plage (merci Pat et Nat), randos, côte sauvage grandiose, mouettes et petit seau bleu spécial mal de mer (my best friend). Merci au Capitaine pour cette splendide virée. Si Belle-Ile est ravissante, authentique et bourrée de charme, c'est Groix la revêche qui garde ma préférence, Groix la humble, l'indomptée, Enez Groe ma belle coriace. [SOPH]


 

mardi 28 mai 2019

NAV BRETAGNE

Selon l'histoire de l'évolution, les ancêtres des cétacés ont abandonné l'océan pour le plancher des vaches puis sont revenus vivre dans la mer. Le Capitaine est un vertébré, cétacé de type voileux, du sous-genre pêcheur à la traine, avec un taux très élevé de sel marin dans le sang. Jamais aussi heureux que sur un truc qui flotte avec plein de ficelles et de grands draps blancs pour se mouvoir lentement d'un port à un autre. [SOPH]



lundi 13 mai 2019

Bidonvilles contre supergang de l’eau potable : soudain cette grâce absolue

Ils sont pauvres, socialement tous petits et inaudibles. Ils sont  puissants, très riches, très influents et très gros avec une énorme  voix. Dans la chaine alimentaire des multinationales de l’eau, les  pauvres du bidonville de Nagpur en Inde sont  des proies et Veolia est au sommet de cette chaîne de prédation. C’est  l’histoire d’un quartier sans eau, dans un monde où l’eau potable courante privatisée est cotée en bourse, l’histoire d’un monde où le social business joue à qui gagne gagne, donc à qui perd perd. Un monde d’argent corrompu plus argenté que le monde du pétrole. Un monde du silence, silence des affaires, des médias, des politiques, silence qu’un bidonville va briser, faisant trembler le colosse sur ses jambes.

Depuis une quarantaine d’années, le marché mondial de la ressource en  eau a considérablement muté. Les multinationales sont à la manœuvre pour  privatiser l’eau, c’est-à-dire la contrôler et la tarifer : l’eau potable courante n’est plus un bien commun et un droit pour tous mais un bien économique négociable, une marchandise privée dont la  valeur se fixe au gré des échanges commerciaux et des marchés  financiers. L’économie néolibérale globalisée a décrété de façon  unilatérale que la gestion publique de l’eau, jugée sous performante et  dépassée, était un anachronisme, pire : un refus de modernité. Les  investissements colossaux exigés par l’approvisionnement et la gestion  de l’eau n’étant plus à la portée des communautés publiques, seules les  multinationales ont les reins financiers assez solides pour y parvenir.  Parce que la modernité selon les libéraux est un duo gagnant  performance-rentabilité, tout le monde s’y retrouvera. Quand donc une  multinationale assurant un service payant a fait en sorte que tout le  monde s’y retrouve ? Jamais. Quand l’eau potable n’est plus un droit, elle échappe à tout devoir. Point. 


En route donc pour une gestion privée de l’eau : les communautés  publiques sont propriétaires des infrastructures et les multinationales,  via un contrat, assurent la construction de ces infrastructures, la  distribution de l’eau potable et l’assainissement des eaux usées. Dans  ce meilleur des mondes, cette délégation octroyée à des multinationales  privées a un coût : le coût du service rendu par la multinationale et sa  rémunération ou marge bénéficiaire (et l’on sait tous qu’une  multinationale ne vivote pas en CDD avec un SMIC), la multinationale  devant enrichir ses actionnaires comme les marchés financiers. Alors qui  paye l’eau au final ? Le consommateur d’eau : vous, moi, la  collectivité. Qui enrichit la multinationale ? Vous, moi, la  collectivité.  Donc qui se fait avoir ? Vous, moi, la collectivité.
Bidonvilles nord de Nagpur

Et dans les pays pauvres, là où le consommateur d’eau n’est pas en  mesure de payer ce qu’il va consommer ? Et bien c’est le pays (donc le  peuple) qui règle cette note, via des subventions et des investissements  publics. Cela devient très intéressant pour la multinationale : elle  négocie à prix d’or une gestion privée déléguée de l’eau en un seul  contrat dont le paiement est GARANTI par l’Etat, la subvention est à  portée de main, il suffit de la saisir. La pauvreté d’un pays, pour les multinationales, c’est de l’or en barre. Sous couvert des fameux ODD, Objectifs de Développement Durable, les  multinationales imposent partout la privatisation de l’eau. C’est beau,  c’est moral, c'est pour le bien de tous. Le tour est joué. Et aucun  média mainstream pour dire qu’on est en plein néocolonialisme.
Dans ce monde ultralibéral de la gestion de l’eau, la pensée unique globalisée promet un paradis aquatique pour tous. Les premières fissures (pourtant prévisibles) de cette gestion privée n’ont pas tardé à apparaître : mauvaise information délibérée du consommateur et des collectivités locales, flou artistique sur la qualité et le prix du service de l’eau potable courante domestique, défaut et insuffisance de contrôles de la qualité de l’eau, situation de monopole de la multinationale imposant prix et marge sans concurrence possible, hausse de prix injustifiée frisant la truanderie, contrat de délégation aux multinationales brumeux… Et qui paye très chère cette belle arnaque ? Vous, moi, la collectivité. Donc qui gagne (énormément)? On a tous compris. Et surtout qui prend au passage de larges commissions (et pots de vin) pour octroyer ce service public de l’eau à une société privée ? Ni vous ni moi. Ceux pour lesquels vous votez.


Et puis juillet 2010 : la Bolivie dépose une résolution qui sera adoptée par l’ONU, l’accès à l’eau potable courante devient un DROIT FONDAMENTAL de l’humain. Cette magnifique résolution n’a pas du tout inquiété les multinationales de l’eau : un droit peut se traduire en prix donc dégager une marge, un devoir est une contrainte que la multinationale peut faire semblant de respecter. Devinez quoi ? C’est ce qui s’est passé, en termes de droit comme de devoir.

Et Nagpur et ses bidonvilles dans tout cela ? Cette ville indienne du  Maharastra de près de 3 millions d’habitants vit une situation de la  gestion de son eau courante catastrophique : distribution aléatoire, coupures  récurrentes, réseau de distribution vétuste, eau polluée non potable,  bidonvilles non raccordés, pas de recyclage des eaux usées… En 2012, Veolia (consortium Veolia et société indienne) arrive tel le messie pour  sauver la situation et signe un contrat de 25 ans pour gérer l’eau  potable de Nagpur (contrat financé par la ville et les usagers de l’eau)  : eau courante potable pour tous, y compris dans les bidonvilles,  traitement des eaux usés, rénovation, extension et modernisation du  réseau de distribution. C’est le merveilleux concept de “ville inclusive” de Veolia : le progrès pour tous, la prise en compte sociale, l’entreprise citoyenne, l’humain, ah l’humain (je tairai les pots-de-vin et les rétro  commissions, seconde nature de l’Etat indien, qui ont permis à Veolia  de décrocher ce contrat, ça tombe bien, les conflits d’intérêt sont une  seconde nature des multinationales). Un modèle de “social business” que soutient financièrement la Banque Mondiale. Car la mécanique de ces juteux contrats est aussi simple que cynique : socialiser les investissements.  Les investissements publics s’effectuent conjointement avec les  investissements privés, bref on mutualise argent public et argent privé pour mener à bien un projet de réseau d’eau potable, mais les recettes  produites ensuite par ce projet reviendront en majorité à l’investisseur privé ; ou comment faire du chiffre avec l’argent de la collectivité.  Moralité : on ne socialise jamais les recettes, JAMAIS, seulement les investissements. Je ne sais pas pour vous, mais dans mon monde, cela s’appelle un contrat de dupe.


Donc Veolia propose l’eau potable pour tous à Nagpur. C’est si beau, si  parfait, si moral ce projet quasi humanitaire que la région de Maharastra décide d’étendre la privatisation de l’eau à d’autres grandes  villes indiennes. Veolia (et Suez) s’en pourlèche déjà les babines. La  presse française se déplace à Nagpur, articles dithyrambiques : les journalistes au garde à vous ont exécuté le boulot libéral attendu de cirage de  pompes, sans aucun discernement.

7 ans plus tard, force est de constater que rien ne s’est passé comme  prévu (ça alors !). Le prix de l’eau pour le consommateur a été  multiplié par deux et demi, les foyers à raccorder sont toujours en  attente, un infime pourcentage des canalisations à remplacer ou à  installer a été effectué. Les matériaux utilisés assurant la  distribution d’eau sont de si mauvaise qualité qu’ils sont déjà à remplacer, les plombiers indiens sous-traitants ont entamé une grève de  la faim tellement leurs salaires sont moyenâgeux. Les contrôles de  qualité de l’eau sont risibles et la contamination de l’eau régulière.  Les scandales financiers et les conflits d’intérêt en tous genres  s’accumulent aux pieds de Veolia. Dans un pays où la corruption et le  clientélisme sont des sports nationaux, entre les opérations financières  douteuses et la connivence entre intérêts politiques et économiques,  Veolia n’a finalement pas fait mieux avec l’eau que ce que faisait  auparavant le service public indien, en revanche Veolia l’a fait en beaucoup plus cher : pour un même résultat catastrophique de sa gestion de l’eau, la  municipalité de Nagpur dépense désormais 20 millions de plus an. Merci  Veolia et son “social business”.

Notons que Brune Poirson,  actuelle secrétaire d'État auprès de François de Rugy, ministre de la Transition  Ecologique et Solidaire (et auparavant de Hulot, et oui), était directrice de la responsabilité sociétale à la privatisation de l’eau de la ville de Nagpur pour le compte de Veolia : fiasco complet, Mme Poirson est depuis une star à Nagpur. "J’ai été portée par un engagement social, affirme-t'elle à la presse, je me suis engagée en Inde aux côtés des plus démunis. J’ai été en charge de gérer des projets de distribution d’eau dans les bidonvilles. J’ai pris la mesure de l’importance cruciale de la bonne gestion des ressources environnementales dans le contexte du réchauffement climatique." Elle a au moins le sens de l'humour noir. Brune Poirson est également depuis 2019 vice-présidente de l'Assemblée des Nations unies pour  l'environnement : le climat et la biodiversité vont bénéficier des  hautes compétences de cette personne aussi éthique qu'indépendante des lobbies des multinationales. Notre avenir écologique et climatique s'annonce radieux. 

Où en sont les bidonvilles de Nagpur ? Et bien ils n’ont toujours pas d’eau  courante. Dans l’attente de travaux de raccordement qui n’arriveront  jamais, Veolia a mis en place en sous-traitance un réseau de camions citernes pour approvisionner les bidonvilles en eau potable, un vrai business d’avenir. Cette  eau est payante, même sans robinet, elle a d’ailleurs plus que doubler  depuis que Veolia la gère (en réalité c’est la municipalité qui fixe les  hausses de tarifs, mais en fonction de ce que lui coûte l’intervention  de Veolia, donc indirectement c’est Veolia). Cette eau ayant une valeur marchande, elle est volée depuis les camions citernes puis revendue  avant d’arriver aux bidonvilles. …On est en Inde et l’économie mafieuse et le marché noir représentent 84% du PIB national. En revanche la facture, elle, arrive chaque mois dans les boites aux lettres des  bidonvilles, sans compter que les pauvres ont dû illégalement payer  l’installation d’un compteur d’eau à leur domicile (alors qu’il était  prévu gratuit) pour une eau courante inexistante. Le prix de l’eau, même  subventionné pour les zones les plus démunies de Nagpur, reste  inabordable pour les foyers des bidonvilles : l’endettement s’installe pour une eau qui n’arrive même pas à domicile mais en camion, quand  cette eau n’est pas volée avant. Ca fait beaucoup pour les habitants des  bidonvilles, vraiment beaucoup. 


Alors arrive l'impensable pour Veolia et sa meute de corrompus politiques : la mobilisation des bidonvilles. Création d'associations de défense des usagers, interpellation des pouvoirs municipaux et de Veolia. On continue d'embourber les bidonvilles de promesses. Réaction des habitants des bidonvilles : ils menacent de faire la grève du vote, manifestent et entament des procédures judiciaires contre la municipalité et Veolia. La Justice n’échappant pas à la culture du clientélisme et de la corruption indienne, les bidonvilles sont déboutés. Leur lutte est héroïque parce qu’elle est sans moyen. Les bidonvilles le savent : ils sont dans leur droit. Alors l’émeute. Les bureaux locaux du consortium Veolia sont brûlés, les cadres indiens du consortium menacés, les bidonvilles interpellent l’opposition qui sent que ce mouvement est d’ampleur et peut renverser la municipalité. Les bidonvilles comprennent très finement la situation et gèrent parfaitement la récupération des partis : ils obtiendront gain de cause, ne paieront pas l’eau inexistante et les compteurs d’eau. Mais surtout la colère des bidonvilles a déclenché des contrôles et des bilans, des demandes de comptes inattendus pour la mairie de Nagpur et Veolia. La remunicipalisation de l’eau est en route à Nagpur. Des ONG telles que Corporate Accoutability International se penchent sur l’affaire et étudient la reprivatisation de l’eau dans toutes les grandes villes de l’Inde.  Car le résultat est un fiasco total : cette gestion privée est une catastrophe, l’argument libéral est à genou devant les miteux résultats de cette privatisation. Le “social” business n’existe pas parce que le business n’admet jamais aucun adjectif : le business n’admet que lui-même.


Cette émeute des bidonvilles de Nagpur refusant d’être les dindons de la farce libérale de Veolia et des pouvoirs publics locaux a fait trembler une municipalité et une multinationale. Mieux, les associations d’usagers de ses quartiers ont catégoriquement refusé tout dédommagement financier contre un retour au calme surtout judiciaire, eux, les pauvres de tout : ils n'ont rien, ils ne sont rien, mais eux et leur juste colère ne sont pas à vendre. C’est cela la grâce, c’est cela. La grâce absolue. Cette grâce qu’aucune multinationale, aucune pensée unique néolibérale ne peut pas même effleurer du doigt sans se brûler.
NB : comble du cynisme, pendant que les bidonvilles de Nagpur luttent et sont toujours ravitaillés en eau potable payante par camion-citerne, les touristes et la jeunesse dorée de cette ville s'éclatent à l'occidentale dans des parcs aquatiques de Nagpur tels que le Dwarka Water Park ou le Krazy Castle Aqua Park, où les gamins apprennent que l'eau coule visiblement de source et n'est qu'une vaste rigolade.


Je ne remercie aucune association, aucun pote de combat pour le générique de fin : lutte judiciaire des bidonvilles de Nagpur toujours en cours, trop de vaillantes personnes impliquées sur place et des multinationales avec des représailles redoutables.

[PHIL]

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