lundi 31 août 2020

AU NOM DE TON SOURIRE INVAINCU

 

Tatouage tordu de silence, presque effacé, commençant par un A. Cinquième série des femmes du Camp II, 1944. 

Maman, je me suis toujours demandé comment était ton bras avant. Avant le tatouage du silence gris des fumées. Qu'ont-ils fait de tes cheveux tondus ? Peut-être des boucles cousues sur la tête d'une poupée allemande aux bras de porcelaine intacts. Tu dis que ta seule honte furent ces premières règles trop précoces qui coulaient le long de tes jambes nues, les soldats riaient en te jetant des pierres, le sang gelait sur tes mollets. 

D'abord internées dans un hôpital de Kolding, toi et ta cousine Cornelia êtes détenues comme otages pour forcer l'oncle industriel danois, Jorgen Baruch Dinesen, à produire des instruments de précision pour les sous-marins allemands. Ensuite Convoi. Court transit dans le camp de Theresienstadt. Convoi. Otages dans une usine près de Hanovre. Convoi. Transférées près de Monowitz toujours comme otage du IIIème Reich. Transfert au camp II par erreur. Tondues, tatouées. L'oncle Jorgen verse une rançon monstrueuse à l'administration nazie pour vous récupérer toi et Cornélia, s'incline, fabrique ce que lui ordonne la Wehrmacht. Puis zone de transit du camp II. Convoi, encore. Retour près de Hanovre. 

Tu ne parles plus. Le tatouage t'a rendue muette. Tu sais, tu as vu. La fumée. Son silence. Tu ne retrouveras la parole qu'un an plus tard, après ta libération.

Plus qu'une question de mémoire, c'est ce silence qu'il ne faut cesser de rompre. Au nom de ton sourire invaincu.

PHIL

2 commentaires:

  1. Hello Phil, ton texte est sublimement émouvant et Rachel est d'une beauté extravagante, comme toujours. Kiss.

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  2. Très émouvant. Merci de cette publication, c'est un témoignage bouleversant.

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